Gouvernance des politiques publiques de l’environnement.
Entre expertise publique, expertise scientifique et expertise citoyenne.
Fatima YATIM – Maître de Conférences en Sciences de Gestion
Laboratoire Interdisciplinaire de Recherche en Sciences de l’Action – LIRSA
Conservatoire National des Arts et Métiers - Cnam Paris
fatima.yatim-daumas@lecnam.net
Thèmes et mots clés : participation citoyenne, action publique environnementale, expertise citoyenne, instituts écocitoyens.
L’action publique environnementale est certainement celle où la participation citoyenne est la plus ancienne et la plus forte (Mazeaud, 2021). En effet, depuis les années 1990 une multitude de dispositifs participatifs ont été déployés à l’image des différentes conseils comme le Conseil national de la transition écologique ; les dispositifs de la concertation règlementaire comme les enquêtes ou les débats publics ; ou encore les dispositifs qui s’adressent aux individus et aux collectifs dans leur vie quotidienne comme les défis citoyens ou les initiatives citoyennes (Gourgues, 2015). La participation des citoyens à l’action publique en matière d’environnement est donc un fait marquant des dernières décennies amenant certains auteurs à parler de l’émergence d’une réelle démocratie environnementale (Mazeaud, 2021), tandis que d’autres évoquent un ‘’participationnisme’’ renforcé (Aldrin et Hubé, 2016).
Les critiques sont toutefois nombreuses malgré cette dynamique positive et deux critiques sont particulièrement soulignées. Les travaux s’intéressant à la participation des citoyens dans l’action de l’environnement pointent tout d’abord les restrictions du droit de l’environnement notamment à cause de la limitation de la portée décisionnelle des procédures participatives (Struillou, Huten, 2020). Par exemple, dans la Loi relative à l’Accélération et la Simplification de l’Action Publique de 2020, la participation est subordonnée à l’efficacité de l’activité économique limitant ainsi les possibilités de contestation des projets susceptibles de porter atteinte à l’environnement (Blondiaux, 2021). D’autre part, les critiques portent sur l’impact réel de la participation sur les processus décisionnels. Par exemple, dans ses travaux sur les écoquartiers, Berthelot (2020) montre comment la multiplication des procédures administratives et techniques impacte la capacité des citoyens à participer réellement. Une participation qui se trouve déplacée du terrain de la négociation explicite pour définir les principes de l’action au terrain de l’opérationnalisation et de l’exécution négociée des moyens (Mazeaud, 2021 ; Salles, 2006).
Aussi, Mazeaud (2021) voit à travers ces nouvelles orientations un processus de dépolitisation des questions environnementales et climatiques et une évolution du rôle de l’État se positionnant comme un État mobilisateur. Ainsi l’écrit l’auteure : « Il ne s’agit pas de permettre à tou·tes de participer à la construction des choix collectifs environnementaux, mais de gouverner la transition écologique en recherchant la participation active des « publics » à des politiques dont les orientations ne sont pas ouvertes à la discussion. » (Mazeaud, 2021, p. 624).
Cependant, malgré leur pertinence, ces analyses ne prennent pas en compte une autre forme de participation qui a pris de l’ampleur au cours de la dernière décennie à travers la montée en puissance de l’expertise citoyenne, non sur le terrain réglementaire comme cela est et a été le cas pour de nombreuses associations, mais sur le terrain de la science. En effet, la dernière décennie a vu l’émergence et le renforcement de l’expertise scientifique citoyenne dont l’un des marqueurs est la multiplication des instituts écocitoyens dans les différents territoires. Ces instituts réunissant scientifiques, citoyens et élus locaux se veulent des instances locales de participation avec deux principaux objectifs : produire des recherches qui éclairent les citoyens et les décideurs sur les enjeux environnementaux locaux ; et produire ces recherches en lien étroit avec les citoyens, et avant tout, selon les préoccupations de ces derniers.
L’objectif de cette communication est d’analyser cette forme de participation, en analyser d’une part les causes et d’autre part les implications en matière de gouvernance de l’action publique environnementale. En effet, selon nous, l’émergence des instituts écocitoyens, qui est par ailleurs à relier au mouvement international de la citizen science, doit être lue effectivement comme une conséquence des limites de la démocratie environnementale (limitation du périmètre du droit de l’environnement et faible impact de la participation sur les processus décisionnels), mais elle est aussi à lire à l’aune de l’évolution de la place et du rôle de l’expertise et des experts. Nous postulons que l’émergence de l’expertise scientifique citoyenne à travers les instituts écocitoyens est à relier à deux mouvements parallèles : d’une part, l’affaiblissement encore plus grand de l’expertise des scientifiques et de leur rôle auprès des décideurs publiques au cours de la dernière décennie et d’autre part, la suppression des missions d’ingénierie et d’expertise publique motivée par la volonté de mettre fin à « une situation ambiguë dans laquelle l’État était à la fois conseiller et contrôleur, donc potentiellement juge et partie, des projets des collectivités territoriales » (Blatrix et al., 2021, p 528).
Pour étayer cette proposition nous mobilisons un corpus de données secondaires issu de travaux académiques, de la littérature grise et d’une revue de presse régionale relatant les conditions d’émergence des instituts écocitoyens, les acteurs impliqués et les enjeux environnementaux concernés. Une attention particulière sera portée au cas de l’Institut Écocitoyen pour la Connaissance des Pollutions de Fos-sur-Mer, faisant figure de pionnier depuis sa création en 2010 à la suite des mouvements associatifs de la zone industrialo-portuaire de Fos. Ainsi, l’analyse des conditions et du contexte d’émergence de ces instituts doit nous permettre de dégager les implications en matière d’évolution de la gouvernance de l’action publique environnementale en mettant en évidence les ressorts des trois formes d’expertise : expertise publique, expertise scientifique et expertise citoyenne. Il s’agit aussi de manière plus élargie de penser les enjeux de la citizen science dans le contexte français et dans le cadre de la politique nationale de la transition écologique promouvant l’écocitoyenneté.
Bibliographie indicative :
• Aldrin, P., Hubé, N. (2016), L’État participatif. Le participationniste saisi par la pensée d’État, Gouvernement et action publique, vol. 5, no 2, p. 9-29.
• Berthelot, K. (2020), Du mythe de l’habitant-écocitoyen à l’optimisation des modes de vie : vers une subjectivation néolibérale des conduites ? Étude des représentations professionnelles sur l’écologie et les écoquartiers, Reflets et perspectives de la vie économique, vol. lviii, no 1, p. 49-64.
• Blatrix, C., Edel, F., Ledenvic, P. (2021), Quelle action publique face à l’urgence écologique ?, Revue française d'administration publique 2021/3 (N° 179), pp. 521-535.
• Blondiaux, L. (2021), De la démocratie en France. En finir avec les faux-semblants, Esprit, vol. avril, no 4, 2021, p. 87-99.
• Gourgues, G. (2015), Plus de participation pour plus de démocratie ?, Savoir/Agir, no 31.
• Struillou, JF., Huten, N. (2020), Démocratie environnementale, Revue juridique de l’environnement, vol. 45, no 1, p. 147-169.
• Mazeaud, A. (2021), Gouverner la transition écologique plutôt que renforcer la démocratie environnementale : une institutionnalisation en trompe-l’œil de la participation citoyenne, Revue française d'administration publique, 2021/3 (N° 179), pp 621-637.
• Salles, Denis (2006), Les défis de l’environnement : démocratie et efficacité́, Paris, Syllepse.