Les municipalités jouent un rôle central dans le secteur public français, assurant un grand nombre de compétences telles que l’éducation, les affaires sociales, les affaires culturelles, le maintien de l’ordre public et des services administratifs généraux. Historiquement, le contrôle au sein des gouvernements locaux repose largement sur des contrôles administratifs (règles, procédures, contrôles directs) et sur le système de contrôle budgétaire (Anessi-Pessina & al, 2016). Au cours des dernières décennies, sous l’impulsion des idéologies NPM et des contraintes allant des réformes austéritaires à la prise en compte des enjeux de développement durable, les municipalités ont développé de nombreux mécanismes de contrôle cybernétique de pilotage de la performance (Gourbier & al, 2022). Les contrôles culturels jouent également un rôle important dans le package des municipalités puisque les employés sont – dans leur grande majorité – des fonctionnaires ayant des valeurs très marquées.
La littérature portant sur le Management Accounting Change (changements du contrôle de gestion) est absolument foisonnante (Evans et Tucker, 2015). Les diverses contributions mobilisent une grande diversité de théories, de cadre d’analyse et couvrent de nombreux contextes (Quattrone et Hopper, 2001 ; Sulaiman et Mitchell, 2005). Mais malgré cette diversité et cette richesse de recherches, la littérature sur le Management Accounting Change présente toujours certaines zones d’ombres. En effet, si les recherches sur les packages se sont multipliées au cours des dernières années (Merchant & Otley, 2020), on trouve toujours peu d’études qui étudient les changements du contrôle de gestion dans une perspective holistique en prenant en compte la diversité des mécanismes de contrôle et leurs interactions (Martin, 2020). Aussi, de nombreuses recherches se sont focalisées sur l’étude des changements induites par la mise en place d’une nouvelle pratique de contrôle (Burns et Scapens, 2000 ; Soin et al, 20002 [ABM/ABC] ; Vaivio, 1999 [mesures non financières] ; environmental control practices [Contrafatto & Burns, 2013] ; information management system [Scapens et Roberts, 1993]). Pourtant, plusieurs contributions ont montré que l’analyse des phénomènes de Management Accounting Change dans une perspective globale, intégrant la diversité des formes de contrôle pouvait amener des résultats intéressants (Dambrin et al, 2007 ; Evans et Tucker, 2015 ; Ezzamel et al, 2005 ; Kasurinen, 2002). A ce titre, il est surprenant que l’approche par les packages n’ait pas été davantage mobilisées dans les recherches en Management Accounting Change (voir par exemple Evans et Tucker, 2015). Cela est d’autant plus surprenant que le développement d’approches longitudinales et temporelles est un manque dans la littérature en contrôle de gestion, souligné régulièrement par les auteurs (Martin, 2020 ; Bedford, 2020).
En mobilisant une approche par études de cas longitudinales comparées, cet article cherche à caractériser les modalités récentes d’évolution des packages de contrôle d’organisations publiques complexes, à vocation multiple et faisant face à des contextes externes contraints. Il vise ainsi à décrypter et baliser le travail des élus, DGS et des responsables financiers et comptables qui, bénéficiant de la liberté d’administration, doivent aujourd’hui faire rapidement progresser leurs systèmes afin de répondre aux effets de ciseaux financiers, aux impératifs de la transition écologique ou à la diffusion croissante des pratiques budgétaires et comptables « vertes ».
Dans le cadre de notre étude, nous avons sélectionné quatre gouvernements locaux selon des critères de comparabilité (quatre municipalités, taille comparable (environ 100 000 habitants)) et des critères de représentativité théorique (Eisenhardt, 1989). Ainsi, nous avons sélectionné des gouvernements locaux ayant connu un changement évolutionnaire et d’autres ayant connu des changements révolutionnaires (Burns & Scapens, 2000 ; Burns & Vaivio, 2001 ; Vaivio, 1999). Nous avons collecté de nombreuses données qualitatives afin de pouvoir étudier les phénomènes de changement évolutionnaire et révolutionnaire (Burns & Vaivio, 2001) et de pouvoir trianguler les données (Yin, 2018). Notre première source de donnée a été la collecte de documents internes au sein des organisations étudiées. Ceux-ci pouvaient être relatifs aux éléments de contrôle des organisations étudiées (notes internes, compte-rendu de réunions, présentations officielles…) ou bien aux évènements importants de la vie de l’organisation (documents de communication interne et externe). Notre deuxième source de donnée est des entretiens semi-directifs conduits avec les managers des gouvernements locaux. Afin d’avoir un échantillon représentatif de répondants, nous avons interrogé des managers étant soit dans une position de designers ou de users des éléments de contrôle ; ainsi que des managers œuvrant dans des services supports ou bien dans des services opérationnels. Cela correspond au total à 52 entretiens retranscrits et analysés. Les données collectées ont été traitées selon la méthode proposée par Poole et al (2000) pour analyser les données longitudinales et processuelles.
Les premiers résultats font apparaître deux dynamiques deux trajectoires de changement, l’une évolutionnaires, l’une révolutionnaire. Nous identifions une trajectoire chaotique de transformation des packages de contrôle, avec des possibilités occasionnelles d’ « oubli » qui permettent d’abandonner progressivement l’utilisation d’un élément de contrôle sans avoir à le supprimer officiellement. Nos résultats démontrent que selon le type de changement – évolutionnaire et révolutionnaire-, les éléments de contrôle sont transformés selon un ordre et des modalités différentes. Nos résultats s’inscrivent dans la lignée des travaux de Todbold & Van der Kolk (2022) qui illustrent l’importance des phénomènes de cascades de transformation au sein des packages ; elles permettent de générer de nouveaux éléments de contrôle, plus adaptés à l’organisation et adoptés plus facilement par ses managers. De manière contre-intuitive, ils montrent aussi que malgré la cohérence accrue du changement évolutionnaire, celui-ci peut entraîner également des conséquences négatives sur l’organisation, ce qui semble plaider pour des changements révolutionnaires au sein du package de contrôle, surtout lorsque des attentes urgentes vis-à-vis de l’action publique se font ressentir.
Bibliographie
Anessi-Pessina, E., Barbera, C., Sicilia, M., & Steccolini, I. (2016). Public sector budgeting: a European review of accounting and public management journals. Accounting, Auditing & Accountability Journal, 29(3), 491-519.
Burns, J., & Scapens, R. W. (2000). Conceptualizing management accounting change: an institutional framework. Management accounting research, 11(1), 3-25.
Contrafatto, M., & Burns, J. (2013). Social and environmental accounting, organisational change and management accounting: A processual view. Management Accounting Research, 24(4), 349-365.
Gourbier, L., Serval, S., & Charlène, A. (2022). Management Control Package parameterisation as a concealed strategy to introduce an austerity institutional logic. Accounting Auditing Control, 28(1), 39-84.
Evans, M., & Tucker, B. P. (2015). Unpacking the package: Management control in an environment of organisational change. Qualitative Research in Accounting & Management, 12(4), 346-376.
Merchant, K. A., & Otley, D. (2020). Beyond the systems versus package debate. Accounting, Organizations and Society, 86, 101185.
Quattrone, P., & Hopper, T. (2001). What does organizational change mean? Speculations on a taken for granted category. Management accounting research, 12(4), 403-435.
Sulaiman, S., & Mitchell, F. (2005). Utilising a typology of management accounting change: An empirical analysis. Management Accounting Research, 16(4), 422-437.
Vaivio, J. (1999). Exploring anon-financial'management accounting change. Management Accounting Research, 10(4), 409-437.